France-Afrique, les liaisons dangereuses

Conseillers en communication

Le dossier noir des sorciers blancs

L'Express 19.06.2002

par Vincent Hugeux

De droite comme de gauche, les conseillers en communication, gourous venus de France, tentent de préserver leur très lucrative audience sur le continent africain

C'est une tribu étrange et méconnue. Ses membres braconnent dans les coulisses des palaces et des palais. Ils vivent de la crédulité des leaders africains, novices, vétérans ou prétendants, leur cédant au prix fort de l'image. Au mieux, ces «sorciers blancs» venus de France vendent d'utiles conseils et de précieux slogans. Au pire, des illusions. Peu importe le client: ses largesses pèsent plus lourd que sa vertu. Le fric qu'on gagne avant l'Afrique qui gagne.

C'est une tribu étrange et méconnue. Ses membres braconnent dans les coulisses des palaces et des palais. Ils vivent de la crédulité des leaders africains, novices, vétérans ou prétendants, leur cédant au prix fort de l'image. Au mieux, ces «sorciers blancs» venus de France vendent d'utiles conseils et de précieux slogans. Au pire, des illusions. Peu importe le client: ses largesses pèsent plus lourd que sa vertu. Le fric qu'on gagne avant l'Afrique qui gagne.

Nos gourous - titre parfois revendiqué - ont leurs rites, leurs codes et leur langage. Pour étourdir le «roi nègre» en mal d'audience, le conseiller en communication l'enivre de «stratégie», de «plans médias» et de «cœurs de cible». Les plus pragmatiques volent volontiers au secours de la victoire, quitte à déserter le camp du vaincu. «Ceux-là vous piquent votre montre pour vous donner l'heure», persifle un initié, illustrant au passage un autre travers de la famille, sa propension à dénigrer la concurrence. L'enfer, c'est les autres: tous des mercenaires cupides. Et chacun de vous jurer, la main sur le cœur, qu'il n'a «rien à voir avec de tels escrocs». La morale de l'histoire doit beaucoup au fabuliste. Tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. «Nos présidents croient encore aux astres et aux marabouts, soupire, navré, un expert congolais. Et s'y accrochent d'autant plus qu'ils savent leur pouvoir fragile.»

Génération Séguéla

Que risquent les supermentors? Pas grand-chose. Bien sûr, le chiraquien Thierry Saussez (Image et Stratégie) a payé cher en Côte d'Ivoire la débâcle de son protégé, Henri Konan Bédié, chef d'Etat détrôné. Mais gageons que le «fils de pub» Jacques Séguéla et Stéphane Fouks, patron d'Euro RSCG Corporate, se remettront sur le continent noir de celle de leur poulain hexagonal, Lionel Jospin. Voilà des lustres que Séguéla recycle à l'exportation, avec des fortunes diverses, les lauriers cueillis en 1981 dans le sillage de François Mitterrand. Vingt ans après, le magicien offrait au sortant sénégalais, Abdou Diouf, qui briguait un nouveau mandat, une réplique désinvolte de ses formules magiques. Comment a-t-il convaincu l'héritier de Senghor, géant austère, de poser sur ses affiches parmi fruits et légumes? Mystère. D'autant que figurait en bonne place une aubergine, symbole guère flatteur en Afrique de l'Ouest. Mieux, RSCG enverra à Dakar, et au casse-pipe, un duo de jeunes conseillères peu familières du continent. Malmenées par les caciques machos du PS local, elles s'éclipseront dès le lendemain du triomphe d'Abdoulaye Wade, le vieux prophète du sopi (changement). Qu'à cela ne tienne: Nathalie Mercier, l'une des «deux Blanches», jouera les cerbères dans l'ombre du candidat Jospin, tâchant de contenir l'assaut des cameramen et des photographes.

La percée de Stéphane Fouks

En campagne, l'hôte de Matignon a donc confié son image à Stéphane Fouks, virtuose de la communication financière tenté par l'épopée africaine. Fils d'une comptable polonaise et d'un militant communiste natif d'Odessa, ce quadra fut vice-président du syndicat étudiant Unef-ID puis cofondateur du mouvement des jeunes rocardiens. Il a prodigué ses conseils à Ehud Barak en Israël, au socialiste chilien Ricardo Lagos ou au Polonais Aleksander Kwasniewski. Mais Fouks, honni par la vieille garde du PS, compte aussi dans son fichier clientèle le Camerounais Paul Biya et fut approché voilà peu par les émissaires de Denis Sassou-Nguesso, vainqueur de la terrible guerre civile qui ravagea le Congo-Brazzaville et absous depuis lors par le verdict des urnes. «Avec Chirac, confie l'un d'eux, le courant passe. Mais il fallait jeter une passerelle avec la gauche, au cas où...» Hypothèse révolue. Stéphane Fouks s'est aussi frayé un chemin vers le marché ivoirien. Auprès d'Alassane Ouattara d'abord, opposant écarté de la bataille présidentielle, puis du lauréat Laurent Gbagbo. Son agence a ainsi décroché le budget du prochain congrès de l'Union postale universelle, prévu pour 2004 à Abidjan. Comment? Simple comme un coup de fil. Un jour, Gbagbo, quelque peu dérouté, appelle son vieux copain Guy Labertit, l'inusable «Africain» du PS. «Guy, trouve-moi un type proche de vous! Moi, j'y connais rien.» Ainsi fut fait. «Dire que j'ai réglé ça en cinq minutes... soupire Labertit, patron de la Fondation Jean-Jaurès. Et pour pas un rond!» «Stéphane est l'un de mes disciples, lâche en écho le rocardien Claude Marti, pionnier de la communication politique. Un gars doué, astucieux, mais qui devrait bosser davantage.» Faut-il voir là le dépit d'un ancien qui, malgré quatre décennies d'aventures africaines, a laissé voilà peu des plumes en Côte d'Ivoire, eldorado de la corporation?

Le mirage ivoirien de Claude Marti

Il est vrai que ce Vaudois établi en France depuis 1945 a misé sur le mauvais cheval: le général de brigade Robert Gueï, parvenu au pouvoir en décembre 1999 à la faveur du chaos né de la déroute du falot Henri Konan Bédié. Le 15 juillet de l'année suivante, le «sauveur» galonné lui confie un mandat sur papier à en-tête de la présidence. Sa mission: expliquer aux élites hexagonales le «bien-fondé de nos décisions». Six jours plus tard, Claude Marti, fils d'architecte et gaulliste fervent, abreuve les rédactions d'un mémo sous-titré «Robert Gueï n'est pas un putschiste». Il y dépeint son employeur sous les traits de l'homme providentiel, intègre, démocrate inflexible et garant de l'unité d'un pays miné par les tensions ethniques. Plaidoyer assorti, dans l'envoi adressé à François Hollande, premier secrétaire du PS, d'une note manuscrite péremptoire sur l'échec assuré du postulant Gbagbo... «Gueï est un type délicieux, soutient ce septuagénaire charmeur. Mais il m'a fallu quelques mois pour piger qu'il était autant taillé pour la carrière de chef d'Etat que moi pour celle de jockey d'obstacles.» Marti affirme n'avoir pas touché un centime. «J'ai même perdu dans l'affaire près de 300 000 francs [45 700 euros].» Accès de philanthropie? Nullement. Renonçant à toute rétribution, le Franco-Suisse misait, pour rentrer dans ses frais, sur le rapatriement du pactole mis à l'abri en Occident par le régime déchu. Vain espoir. A sa décharge, il ne fut pas le seul à s'engouffrer dans ce créneau. Le pasquaïen Marc Bousquet se fendit aussi d'une plaquette vantant les mérites du «de Gaulle africain», officier «pétri de valeurs militaires: patrie, honneur et fidélité».

La dette de Kadhafi

Entre candeur et rouerie, Marti manque peut-être de crédit, mais non de créances. «Les Libyens me doivent encore 30 000 dollars», précise-t-il. C'est que le compagnon de Rocard a volé jadis au secours de Tripoli. Et il ne s'en cache pas. Témoin cette Une du Nouveau Quotidien de Lausanne affichée dans son bureau parisien de la rue de Lisbonne: «Kadhafi engage un Suisse pour faire sa pub». Il s'agissait alors de démontrer, tâche ingrate, l'innocence du bouillant colonel dans l'attentat fatal à un DC 10 d'UTA, pulvérisé en septembre 1989 dans le ciel du Niger. A l'époque, l'avocat helvète traite avec Abdessalam Senoussi, beau-frère du Guide de la révolution libyenne et patron des services secrets, un temps poursuivi par la justice française. «Il m'a juré sur le Coran que Kadhafi n'y était pour rien», déclare Marti. Ce serment lui suffira. Quand, en 1992, Pierre Péan sort chez Stock une enquête tendant à disculper le colonel, Marti en achète 200 exemplaires et les expédie à une flopée de ministres et de députés. En ce jour d'avril 2002, le griot moustachu interrompt notre conversation et s'éclipse: la nièce de Didier Ratsiraka, président sortant - désavoué par les urnes et la rue - de Madagascar, vient lui remettre le solde d'une dette contractée par son oncle à l'heure d'honorer une facture d'imprimeur pour ses affiches électorales. C'est que Claude Marti, séduit par «l'Amiral rouge», tente de l'épauler dans le combat d'arrière-garde qu'il mène contre son rival, Marc Ravalomanana, maire d'Antananarivo. Celui qui évinça un temps Séguéla à la cour de Mitterrand a aussi plaidé la cause du Nigérien Mahamane Ousmane, puis celles de son tombeur, Ibrahim Baré Maïnassara, officier putschiste, du Camerounais Paul Biya ou du Togolais Gnassingbé Eyadéma, grand amateur de sorciers blancs.

Les appétits d'Eyadéma

«Sans lui, ce serait l'anarchie. Pour moi, le Togo, c'était la Suisse.» Singulière analogie. Marti ignore-t-il que, en janvier 1963, son héros, sergent-chef alors prénommé Etienne, assassina de sa main, et sur ordre, le père de l'indépendance du pays, Sylvanus Olympio, ou qu'il muselle férocement les dissidents réfractaires au ralliement? Son ami Rocard déploie sur le même front, avec le concours de Michel Dubois, fidèle cornac africain, un zèle soutenu. On lui doit notamment un rapport, fruit d'une vaine tentative européenne de médiation entre le pouvoir et l'opposition togolais, pour le moins bienveillant envers le potentat de Lomé. «La Rocardie, accuse Guy Labertit, c'est le courant du PS qui a le plus ramassé en Afrique.» «Totalement faux! s'insurge l'ancien Premier ministre. Je n'ai jamais mangé de ce pain-là!» Et d'imputer une telle «calomnie» à la jalousie. Tout à son désir de s'acheter une virginité, Eyadéma ne mégote pas. Alexis Beresnikoff, descendant du tsar Nicolas II et fils du bras droit du colonel Passy, héros de la Résistance, a décroché en 1996 un contrat de 4,8 millions de francs, dont 10% devaient, en vertu d'une clause sibylline, échouer dans les caisses de Demain la France, association de Charles Pasqua (1). De même, l'indétrônable Gnassingbé s'est assuré le soutien obstiné du juriste Charles Debbasch. Les centres d'études universitaires peuvent aussi, dans un registre moins sulfureux, céder à la tentation de monnayer leur expertise. Satellite d'un prestigieux institut, le Club international a ainsi monté les visites à Paris des présidents Laurent Gbagbo et Blaise Compaoré (Burkina Faso).

Dans l'ombre de Sassou

Le Congo-Brazzaville et son magot pétrolier attirent également des hordes d'agents d'influence. Tel Jean-François Probst, qui fut tour à tour conseiller de l'ex-présidente du RPR Michèle Alliot-Marie, puis du réprouvé parisien Jean Tiberi, après avoir vainement guigné l'héritage de Jacques Foccart, le Raspoutine africain de la France gaulliste. Engagé au service de la dynastie Kabila, maîtresse d'un tiers de l'ex-Zaïre, Probst affirme avoir reçu à maintes reprises en ses locaux de Neuilly-sur-Seine - et gratuitement - le futur président du Sénégal Abdoulaye Wade, coqueluche des sorciers madelinistes, telle Anne Méaux. Il se prévaut, en outre, d'avoir œuvré pour le retour en grâce de Denis Sassou-Nguesso, réélu en mars dernier. Ou d'avoir introduit auprès de ce dernier Jean-Paul Pigasse. Lequel anime un bulletin de propagande intitulé Les Dépêches de Brazzaville, après avoir officié à L'Express et à Jeune Afrique. D'autres font leur miel du manque d'acuité des médias. Lors du scrutin présidentiel, une dépêche de l'Agence France-Presse relayait le satisfecit décerné au régime par un certain Michel Lecornec, au nom de l' «Observatoire africain de la démocratie». Omettant de préciser que l'intéressé compte parmi les familiers de Sassou.Le Congo-Brazzaville et son magot pétrolier attirent également des hordes d'agents d'influence. Tel Jean-François Probst, qui fut tour à tour conseiller de l'ex-présidente du RPR Michèle Alliot-Marie, puis du réprouvé parisien Jean Tiberi, après avoir vainement guigné l'héritage de Jacques Foccart, le Raspoutine africain de la France gaulliste. Engagé au service de la dynastie Kabila, maîtresse d'un tiers de l'ex-Zaïre, Probst affirme avoir reçu à maintes reprises en ses locaux de Neuilly-sur-Seine - et gratuitement - le futur président du Sénégal Abdoulaye Wade, coqueluche des sorciers madelinistes, telle Anne Méaux. Il se prévaut, en outre, d'avoir œuvré pour le retour en grâce de Denis Sassou-Nguesso, réélu en mars dernier. Ou d'avoir introduit auprès de ce dernier Jean-Paul Pigasse. Lequel anime un bulletin de propagande intitulé Les Dépêches de Brazzaville, après avoir officié à L'Express et à Jeune Afrique. D'autres font leur miel du manque d'acuité des médias. Lors du scrutin présidentiel, une dépêche de l'Agence France-Presse relayait le satisfecit décerné au régime par un certain Michel Lecornec, au nom de l' «Observatoire africain de la démocratie». Omettant de préciser que l'intéressé compte parmi les familiers de Sassou.

Jean-Noël Tassez «le Gabonais»

Il arrive pourtant qu'un «gourou» résiste aux sirènes de Brazzaville. Tel est le cas du Nivernais Jean-Noël Tassez, ancien patron de RMC et de la Sofirad (2). Il faut dire que le fondateur d'Astorg Conseil, autrefois rédacteur en chef du quotidien communiste La Marseillaise, tient au contrat - d'un montant annuel de 150 000 à 300 000 euros - qui le lie depuis trois ans au président gabonais, gendre de Sassou-Ngesso. «Je me vois mal bosser pour les deux, confesse- t-il. Omar Bongo est un client jaloux.» Jaloux et madré. Conscient du peu d'écho que recueillent les hagiographies de commande, Bongo se prêta aux questions d'un enquêteur aguerri du Nouvel Observateur, Airy Routier. A la clef, un livre d'entretiens intitulé Blanc comme nègre (Grasset). «Tout, sauf un bouquin de complaisance», soutient Tassez.

Débat sur les microcrédits

Le soleil de Brazza aura appâté d'éminents experts. C'est ainsi qu'ACA, le cabinet de Jacques Attali, jadis «sherpa» de François Mitterrand, aujourd'hui chroniqueur à L'Express, livrera une étude consacrée au procédé qu'il préconise pour les pays pauvres: les microcrédits. Travail jugé décevant par les commanditaires. «J'ai été scandalisé par le montant exigé», avoue un confident du président congolais. «Ça nous a coûté très cher, renchérit un autre mécontent. Plusieurs millions de francs pour pas grand-chose. On nous avait pourtant promis des entrées à la Banque mondiale, un coup de pouce décisif quand il s'est agi de renégocier la dette. Dire qu'Attali avait eu droit au tapis rouge et aux motards...» Version contestée en tout point par l'ex-patron de la Berd. Contacté par nos soins, l'essayiste réfute dans un courriel laconique les griefs que lui valent à Brazza le montant des honoraires, «très inférieurs au chiffre avancé», ou la qualité du document, que, précise-t-il, le ministre congolais des Finances a saluée par lettre.

Le bâton de Maréchal

Le grand cirque des sorciers blancs défie les cousinages politiques. Désormais présidée par un socialiste de la vieille école, la Côte d'Ivoire compte parmi ses promoteurs appointés le député européen Michel Scarbonchi, radical de gauche rallié à Jean-Pierre Chevènement, et a confié la confection de son site Internet à Samuel Maréchal, gendre de Jean-Marie Le Pen (3). Après tout, ce fils d'un pasteur pentecôtiste, qui a tâté de la prothèse dentaire et du droit dans une vie antérieure, semblait avoir pris ses distances avec un Front national dont il dirigea le mouvement de jeunesse puis la communication. Reste que Maréchal a resurgi sur l'avant-scène à la faveur de l'envolée de son beau-père. Le «lobbying de papa» a vécu. Le destin de l'Afrique se joue moins, désormais, dans les antichambres présidentielles que dans les coulisses de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international, du Club de Paris ou de la Commission européenne. Mais nos marabouts feignent de l'ignorer.

(1) Voir Ces messieurs Afrique. Tome II. Des réseaux aux lobbies, par Stephen Smith et Antoine Glaser (Calmann-Lévy, 1997).
(2) Voir Le Piège. Les réseaux financiers de Pierre Falcone, par Gilles Gaetner (Plon, 2002).
(3) Voir La Lettre du continent, publication riche en informations confidentielles.


Des médias choyés

En Afrique comme ailleurs, le parti des consultants a ses compagnons de route. En novembre 1998, un certain François Blanchard louait sur les ondes de Radio France Internationale (RFI) la souplesse d'échine des «sept copains journalistes» qu'il escortait à Lomé, Brazzaville ou Abidjan, leur offrant «un bon bifteck, de sorte qu'ils puissent bien manger et bien écrire». Riche en articles de qualité, l'hebdomadaire Jeune Afrique publie de temps à autre, moyennant finances, dossiers élogieux et papiers indulgents. En mai 1998, au temps où le défunt Laurent-Désiré Kabila régnait sur Kinshasa, la République démocratique du Congo avait ainsi négocié la parution d'un cahier spécial de 148 pages. Patron du Nouvel Afrique-Asie, Simon Malley a reconnu avoir touché un coquet pactole en contrepartie d'articles à la gloire de l'Angola. Quant à la revue Géopolitique africaine, elle doit beaucoup à la générosité du président Denis Sassou-Nguesso, maître du Congo-Brazzaville. De même, les «publireportages» livrés clefs en main par des cabinets de conseil en communication procurent à la presse écrite de précieuses ressources. L'ambiguïté n'épargne pas les titres les plus vénérables. On peut ainsi lire dans Le Monde des encarts réalisés par la société InterFrance Média, dont les rédacteurs se font passer à l'occasion pour des reporters du quotidien du soir. Tel fut le cas en juin 2001 dans un palace parisien, lors d'un petit déjeuner de presse consacré à la Côte d'Ivoire. Envoûtés par le pouvoir de la télévision, maints potentats rêvent d'en apprendre les rudiments en compagnie de stars du PAF. «Moi, je n'ai jamais entraîné personne», jure Jean-Luc Mano, ancien directeur de l'information de France 2. Formé à la rude école de L'Humanité, le PDG de la radio BFM admet en revanche avoir animé des conférences au Togo, ou orchestré une soirée électorale au Gabon, pour un institut de formation sollicité par Euro RSCG. «J'acceptais d'aller là où sont respectées les valeurs d'équité et de pluralisme, insiste celui qui, étudiant, présida l'Unef. Risque-t-on d'offrir au régime en place une caution démocratique? C'est une vraie question.»


L'Afrique aux premières loges

Après les confrères, les frères. Dans une jungle soumise à la loi des réseaux, l'allégeance maçonnique peut, à l'heure du choix, jouer un rôle décisif. Quand on convoite un marché africain, il est bon de savoir que le Congolais Denis Sassou-Nguesso fut initié le 16 janvier 1993 au sein d'une antenne dakaroise de la Grande Loge nationale française (GLNF) et que son rival vaincu, Pascal Lissouba, fidèle, quant à lui, à l'obédience du Grand Orient de France (GODF), le fut à Besançon (Doubs). Maçon aguerri, le Gabonais Omar Bongo a, lui aussi, fréquenté assidûment le GODF puis la GLNF, avant de veiller à l'émergence du Grand Rite équatorial, reflet d'un louable souci de syncrétisme. S'ils peuvent hâter la signature d'un contrat, les sentiments fraternels ont en outre inspiré maintes médiations sur un continent noir déchiré par les conflits. Ils colorent, à gauche comme à droite, les liens avec Paris. Dignitaire du Grand Orient, Guy Penne fut le conseiller de François Mitterrand pour les Affaires africaines. Voilà peu, il conduisait encore à Madagascar une délégation de la francophonie. Pour le sénateur socialiste, une véritable épreuve: il dut côtoyer le nonce apostolique d'Antananarivo à bord de l'avion privé qui l`emmenait loin de l'île Rouge.