L'innocence assassinée

Alain Rajaonarivony

7 500 enfants de moins de 5 ans et 400 femmes au moins seraient déjà morts à cause des blocus, à Madagascar, selon les organisations humanitaires. Pénuries, manque de médicaments, de soins et de nourriture, vaccinations impossibles, les tournées n'ayant pu se faire par manque de carburant, auront donc eu raison des plus faibles. Des chiffres horribles !

Ces informations ont circulé depuis quelques jours mais n'ont pas provoqué, jusqu'à présent du moins, une vague d'indignation. Les pauvres n'ont pas beaucoup de moyens pour faire entendre leurs voix. Cela signifie que les cinq gouverneurs, adeptes de la stratégie du pire malgré l'accord de Dakar, se sont mués petit à petit, d'acteurs politiques en criminels. Exactement comme les extrémistes serbes qui ont pris leurs compatriotes en otages jusqu'à ce que les bombes américaines ne leur tombent dessus. Il ne faudra pas oublier de comptabiliser parmi les victimes de cette guerre pour la démocratie, ces morts innocents, le moment venu.

Didier Ratsiraka s'installe tranquillement à Paris, après un passage par Tripoli, tandis que ses lieutenants dans les provinces s'en donnent à cœur joie. De deux choses l'une : soit il ne respecte pas sa signature, et dans ce cas, la communauté internationale ne doit plus le considérer comme un interlocuteur valable et prendre les mesures en conséquence ; soit il ne maîtrise pas ses troupes et c'est très inquiétant pour un chef. Un responsable qui n'est plus écouté est déjà politiquement mort. Dans tous les cas, il ne faudra plus compter sur lui pour trouver une issue à la crise. Marc Ravalomanana devra donc se débrouiller seul pour sauver le pays, puisque l'accord de Dakar devient de fait inapplicable. Etant allé aussi loin qu'il a pu pour préserver la paix, il lui faut maintenant tout faire pour éviter que des enfants ne continuent de mourir à cause de politicards arcqueboutés sur des rentes de situation maffieuses. Mais comment déjouer la logique de lutte armée dans laquelle Ratsiraka veut l'entraîner ? Le choix ne doit pas être comme l'a dit Winston Churchill entre " la guerre et le déshonneur".

La HCC a annoncée les résultats du décompte des voix pour lundi. Si dans les heures suivantes, les barrages ne sont pas levés, et que des " élus " véreux continuent à prôner la partition du pays, contre la volonté de la population de leur propre région, la solution serait l'intervention de la communauté internationale. Et pas simplement de manière verbeuse, mais en désignant, en condamnant fermement le responsable du génocide et en aidant de manière très concrète le gouvernement et la population. Car si Antananarivo a de bonnes chances de s'en sortir grâce à sa capacité extraordinaire de résistance et l'appui de la diaspora, les plus démunis continuent de mourir en silence dans les provinces. Déjà bien faible, la couverture sanitaire devient inexistante. Les responsables de la future province " indépendante " de Tuléar sont plus connus pour leurs aptitudes au racket que pour leur préoccupation envers les plus dépourvus. Dans les zones " autonomes " de Diego-Suarez et Tamatave, c'est encore pire. La population vit dans la terreur et les chasses à l'homme et exécutions sommaires ne se comptent plus. Lors d'une tournée dans le Sud de l'Ile que j'ai effectuée avec une ONG médicale juste avant les élections, le constat était clair. Sur douze médecins responsables de dispensaires de brousse, onze étaient originaires d'Antananarivo. Ils étaient aimés des villageois qui les ont supplié parfois de rester. On ne parle pas de tribalisme parmi le peuple. Si tous les médecins rejoignaient leur région d'origine, la population serait totalement abandonnée. Le taux de mortalité parmi les enfants était déjà très élevé. Il doit maintenant atteindre des niveaux effrayants.

Les parlementaires français ont demandé avec force le 24 avril que la France appuie la levée des barrages, en application de l'accord de Dakar, afin d'arrêter ce génocide silencieux.

Après les espoirs de l'accord signé en grandes pompes, le pire est peut-être à venir, à moins que Didier Ratsiraka ne veuille enfin assumer ses responsabilités d'homme d'Etat. Pour lui, c'est le moment de vérité !